Le manifeste GNU, reproduit ci-dessous, a été
écrit par Richard Stallman au commencement du projet GNU pour
encourager la participation et le soutien de tous. Au cours des premières
années, il y a eu quelques petites mises à jour pour tenir
compte des développements, mais il nous semble maintenant plus
judicieux de le laisser en l'état.
Nous avons appris depuis qu'il y avait quelques
incompréhensions ; celles-ci peuvent être corrigées
en changeant quelques mots. Des notes de bas de page ajoutées
en 1993 aident à clarifier ces points. Pour les dernières
informations sur les logiciels GNU actuellement disponibles, veuillez
vous référer à la dernière parution du bulletin
GNU. La liste est trop importante pour être incluse ici.
Qu'est ce que GNU ?
GNU, l'acronyme de GNU's Not Unix [GNU
n'est pas Unix], est le nom du système complet de logiciels compatible
Unix (1)que j'écris pour pouvoir
le donner librement à tous ceux qui en auraient besoin (2).
De nombreux bénévoles m'aident. Les contributions en temps,
en argent, en logiciels et en matériel sont les bienvenues.
Pour l'instant, nous avons un éditeur de texte, Emacs (3),
utilisant le Lisp pour écrire des commandes d'édition,
un débogueur, un générateur d'analyseurs syntaxiques
compatible avec YACC, un éditeur de liens, et environ trente-cinq
autres utilitaires. Un shell (un interprète de commandes) est
presque terminé. Un nouveau compilateur C portable et optimisé
s'est compilé lui-même et devrait être disponible
cette année. Un premier noyau (4)existe,
mais nécessite plus de fonctions pour émuler Unix. Quand
le noyau et le compilateur seront terminés, il sera possible
de distribuer un système GNU propice au développement.
Nous utiliserons TeX comme formateur de textes, mais un nroff est en
cours de développement. Nous utiliserons aussi le système
libre et portable X Window System. Par la suite, nous ajouterons un
Common Lisp portable, le jeu Empire, un tableur et des centaines d'autres
choses, plus une documentation en ligne. Nous espérons fournir,
finalement, tout ce qui peut être utile et qui est normalement
inclus dans un système Unix et plus encore.
GNU pourra exécuter des programmes Unix mais ne sera pas identique
à Unix. Nous ferons toutes les améliorations que nous
jugerons appropriées, en nous fondant sur nos expériences
avec d'autres systèmes d'exploitation. En particulier, nous prévoyons
d'avoir des fichiers avec des noms longs, des numéros de version
de fichier, un système de fichiers à tolérance
de panne, éventuellement un système de complétion
des noms de fichiers, un dispositif d'affichage indépendant du
terminal, et peut-être, finalement, un système de fenêtrage
fondé sur Lisp, au travers duquel plusieurs programmes Lisp et
autres programmes Unix pourront partager un écran. Le C et le
Lisp seront tous les deux disponibles comme langages de programmation
système. Nous essayerons de supporter UUCP, MIT Chaosnet, et
les protocoles de l'Internet pour la communication.
Initialement, GNU vise les machines de classe 68000/16000 avec de la
mémoire virtuelle, car ce sont les machines les plus simples
pour le faire fonctionner. Nous laissons l'effort supplémentaire
pour l'adapter sur de plus faibles machines à ceux qui voudront
l'utiliser sur celles-ci.
Pour éviter d'horribles confusions, veuillez bien prononcer
le 'G' de 'GNU' quand vous parlez de ce projet.
Pourquoi j'ai dû écrire GNU
J'estime que la Règle d'or est que, si j'aime un programme,
je dois le partager avec d'autres qui aiment ce programme. Les éditeurs
de logiciels cherchent à diviser et à conquérir
les utilisateurs, en interdisant à chacun de partager avec les
autres. Je refuse de rompre la solidarité avec les autres utilisateurs
de cette manière. Je ne peux pas, en mon âme et conscience,
signer un accord de non-divulgation ou une licence de logiciels. Pendant
des années, j'ai oeuvré au sein du Laboratoire d'Intelligence
Artificielle du MIT pour résister à ces tendances, mais
finalement, ils sont allés trop loin: je ne pouvais pas rester
dans une institution où de telles choses avaient lieu contre
ma volonté. Pour pouvoir continuer à utiliser les ordinateurs
en accord avec ma conscience, j'ai décidé de rassembler
un ensemble suffisant de logiciels libres, pour pouvoir me débrouiller
sans logiciels non libres. J'ai démissionné du laboratoire
d'Intelligence Artificielle pour que le MIT ne puisse invoquer toutes
les excuses légales pour m'empêcher de distribuer GNU librement.
Pourquoi GNU sera compatible avec Unix
Unix n'est pas pour moi le système parfait, mais il n'est pas
trop mauvais. Les fonctions essentielles d'Unix semble être les
bonnes, et je pense pouvoir compléter ce qui manque à
Unix sans les gâcher. Et un système compatible Unix serait
commode à adopter par de nombreuses personnes.
Disponibilité de GNU
GNU n'est pas dans le domaine public. Tout le monde aura le droit de
modifier et redistribuer GNU, mais aucun distributeur ne pourra restreindre
ces futures redistributions. C'est-à-dire que des modifications
propriétaires seront interdites. Je veux être sûr
que toutes les versions de GNU restent libres.
Pourquoi beaucoup de programmeurs veulent contribuer.
J'ai rencontré beaucoup de programmeurs enthousiasmés
par GNU et qui souhaitaient contribuer. De nombreux programmeurs sont
insatisfaits de la commercialisation de logiciels systèmes. Il
se peut que cela leur permette de gagner plus d'argent, mais cela les
amène forcement à se sentir en conflit avec les autres
programmeurs en général, plutôt que d'être
camarades. L'acte fondamental d'une amitié entre des programmeurs
est le partage des programmes; les arrangements commerciaux typiquement
utilisés de nos jours interdisent aux programmeurs de considérer
les autres comme des amis. L'acheteur de programmes doit choisir entre
l'amitié et l'obéissance à la loi. Naturellement,
un grand nombre décident que l'amitié est plus importante.
Mais ceux qui respectent la loi se sentent souvent mal à l'aise
face à ce seul choix. Ils sont désabusés et pensent
que programmer n'est qu'une façon de gagner de l'argent. En utilisant
GNU plutôt que des programmes propriétaires, nous pouvons
être amicaux envers tout le monde tout en respectant la loi. De
plus, GNU est une source d'inspiration et une bannière sous laquelle
d'autres peuvent nous rejoindre dans le partage. Ceci peut nous procurer
un sentiment d'harmonie, impossible à atteindre avec des logiciels
qui ne sont pas libres. Pour environ la moitié des programmeurs
avec lesquels j'ai discuté, c'est une satisfaction importante
que l'argent ne peut pas remplacer.
Comment vous pouvez contribuer
Je demande aux fabricants d'ordinateurs de faire don de machines et
d'argent. Je demande aux individus de faire don de programmes et de
travail. Une des conséquences à laquelle vous pouvez vous
attendre si vous donnez des machines, c'est que GNU tournera dessus
très rapidement. Les machines doivent être complètes,
prêtes à l'utilisation, sans besoin de système particulier
de climatisation ou d'alimentation (5).
J'ai trouvé de nombreux programmeurs impatients de contribuer
à mi-temps pour GNU. Pour la plupart des projets, un tel travail
distribué à temps partiel serait très difficile
à coordonner; les diverses parties codées indépendamment
ne fonctionneraient pas ensemble. Mais ce problème n'existe pas
dans le cas du projet de remplacement d'Unix. Un système Unix
complet contient des centaines d'utilitaires, chacun étant documenté
séparément. La plupart des spécifications des interfaces
sont déterminées par la compatibilité avec Unix.
Si chaque collaborateur peut écrire un remplacement compatible
pour un seul utilitaire Unix et l'intégrer proprement à
la place de l'original sur un système Unix, il s'ensuit que ces
utilitaires fonctionneront ensemble sans problème. Même
en faisant quelques concessions à la loi de Murphy qui créera
quelques problèmes inattendus, l'assemblage de ces composants
sera une tâche réalisable. (Le noyau demandera quand même
une communication plus soutenue et sera réalisé par un
petit groupe.)
Si je reçois des dons financiers, je pourrais embaucher quelques
personnes à temps plein ou à mi-temps. Le salaire ne sera
peut-être pas très élevé par rapport au marché,
mais je cherche des personnes pour lesquelles l'esprit de communauté
est aussi important que l'appât du gain. Je considère que
c'est une façon de permettre à quelques personnes dévouées
de consacrer toutes leurs ressources au projet GNU, en leur évitant
d'avoir à gagner leur vie autrement.
Pourquoi tous les utilisateurs en bénéficieront.
Une fois GNU achevé, tout le monde pourra obtenir de bons logiciels
libres comme l'air (6). Ceci représente
beaucoup plus que l'économie d'une licence Unix. Cela veut dire
que l'on va éviter la duplication inutile du travail de programmation.
Cet effort pourra plutôt se diriger vers l'avancement du domaine
informatique. Les sources du système complet seront disponibles
pour tous. Et cela aura pour résultat qu'un utilisateur qui a
besoin de changer un composant du système aura toujours la liberté
d'effectuer des changements lui-même, ou d'engager une personne
ou une société capable d'effectuer ces changements pour
lui. Les utilisateurs ne seront plus à la merci d'une seule personne
ou d'une seule société qui possède les sources
du programme et qui est la seule à pouvoir effectuer des changements.
Les écoles pourront fournir un milieu beaucoup plus éducatif
en encourageant chaque étudiant à étudier et à
améliorer le code du système. Le laboratoire informatique
d'Harvard avait comme politique de n'installer aucun programme sur le
système si ses sources n'étaient pas disponibles, et ils
soutenaient cette politique en refusant carrément d'installer
certains programmes. Cela m'a beaucoup inspiré. Enfin, les frais
engendrés par les questions d'appartenance et de droits des logiciels
ne seront plus d'actualité. Les mesures pour faire payer les
licences des programmes et de leurs copies génèrent toujours
un coût important pour la société en général,
à cause des mécanismes nécessaires pour calculer
combien (c'est-à-dire quels programmes) chacun doit payer. Et
il faudrait un État policier pour appliquer parfaitement ces
mesures. Prenons une station orbitale, où l'air doit être
fabriqué à un coût important: facturer chaque litre
inspiré peut être justifié, mais porter un masque/compteur
toute la journée et toute la nuit est intolérable même
si on a de quoi payer la facture. Et les cameras de surveillance placées
partout pour vérifier que vous ne retirez jamais le masque/compteur
seraient inacceptables. Il vaut mieux financer la fabrication de l'air
avec une taxe par personne et se débarrasser des masques. De
copier tout ou des parties d'un logiciel semble aussi naturel à
un programmeur que de respirer, tout aussi productif. Cela aussi devrait
être libre.
Quelques objections facilement contrées aux objectifs
de GNU
«Personne ne s'en servira si c'est gratuit, car cela veut
dire que l'on ne peut compter sur aucun support.»
«Il faut faire payer le logiciel pour financer le service
après-vente.»
Il y a des gens qui préfèrent payer pour GNU et le service
plutôt que d'obtenir GNU sans service (7).
Une société qui propose le service uniquement à
ceux qui ont obtenu GNU gratuitement, devrait être rentable (8).
Nous devons faire la distinction entre le support en termes de réel
travail de programmation et le simple support d'assistance. On ne peut
pas compter sur le premier de la part d'un simple revendeur. Si votre
problème n'est pas suffisamment répandu, le revendeur
vous enverra balader. Si votre société a besoin d'un support
fiable, la seule façon est d'avoir toutes les sources et tous
les outils nécessaires. À partir de là, vous pouvez
engager n'importe quelle personne qualifiée pour régler
les problèmes. Vous n'êtes pas à la merci d'une
seule personne. Avec Unix, le prix des sources rend cette solution inabordable
pour la plupart des sociétés. Avec GNU ce sera facile.
Il serait éventuellement concevable qu'il n'y ait personne de
disponible, mais les modalités de distribution ne sont pas responsables
de ce problème. GNU ne propose pas de régler tous les
problèmes, mais seulement quelques-uns. Pendant ce temps, les
utilisateurs qui n'y connaissent rien en informatique ont besoin d'assistance
et de personnes pour les aider à faire ce qu'ils pourraient faire
très bien eux-mêmes si seulement ils s'y connaissaient.
De tels services pourraient être proposés par des sociétés
qui ne font que des cours d'initiation et des réparations. S'il
est vrai que les utilisateurs préfèrent dépenser
de l'argent pour un logiciel intégrant un service après-vente,
ils seront aussi d'accord pour payer simplement le service, ayant obtenu
le logiciel gratuitement. Les sociétés de service se feront
concurrence sur la qualité et le prix de leurs prestations. Les
utilisateurs ne seront pas limités à une société
particulière. En même temps, ceux d'entre nous qui n'ont
pas besoin du service pourront utiliser le logiciel sans payer le service.
«On ne peut pas être connu sans publicité et
il faut payer le logiciel pour financer la publicité. Ca ne
sert à rien de faire de la publicité si on peut obtenir
le logiciel gratuitement.»
Il existe plusieurs formes de publicité gratuite ou bon marché
qui peuvent être utilisées pour informer de nombreux utilisateurs
au sujet de GNU. Cependant, il est peut-être vrai que l'on peut
atteindre plus d'utilisateurs avec de la publicité. Si cela est
vrai, une société qui fait de la publicité sur
le service payant de copie et de distribution de GNU doit être
suffisamment rentable pour assurer sa propre publicité et bien
davantage. Ainsi, seuls les utilisateurs qui bénéficient
de la publicité la payent. En revanche, si de nombreuses personnes
obtiennent GNU par leurs relations, de telles sociétés
ne seraient pas rentables, et cela démontrerait que la publicité
n'était pas vraiment nécessaire pour répandre GNU.
Pourquoi est-ce que les partisans du libre échange ne veulent
pas laisser cette décision au marché libre (9)?
«Ma société a besoin d'un système propriétaire
pour être compétitive. »
GNU va retirer les systèmes d'exploitation du domaine de la
concurrence. Vous ne pourrez pas être avantagé dans ce
domaine, mais votre concurrent non plus. Vous pourrez rivaliser dans
d'autres domaines. Si votre domaine est la vente de systèmes
d'exploitation, vous n'aimerez pas GNU, et c'est tant pis pour vous.
Si votre domaine est différent, GNU peut vous éviter d'être
poussé dans le domaine onéreux de la vente de systèmes
d'exploitation. J'aimerais bien voir le développement de GNU
financé par des dons de fabricants et utilisateurs, réduisant
ainsi les coûts pour chacun (10).
«Les programmeurs ne méritent-ils pas d'être
récompensés pour leur créativité ? »
Si quelque chose mérite une récompense, c'est bien la
contribution sociale. La créativité peut être une
contribution sociale, mais seulement tant que la société
est libre de profiter des résultats. Si les programmeurs méritent
d'être récompensés pour la création de logiciels
innovants, de même, ils méritent d'être punis s'ils
limitent l'utilisation de leurs programmes.
«Un programmeur ne devrait-il pas avoir le droit de demander
une récompense pour sa créativité ?»
Il n'y a rien de mal à vouloir être payé pour son
travail, ou à chercher à augmenter ses revenus, tant que
l'on n'utilise pas de méthodes destructives. Mais les méthodes
pratiquées dans le domaine du logiciel sont fondées sur
la destruction. Extraire de l'argent aux utilisateurs d'un programme
en limitant son utilisation est destructeur, car ces restrictions réduisent
l'utilité du programme. Ce qui à son tour réduit
la richesse apportée par ce programme à l'humanité.
Quand le choix de limiter est délibéré, les conséquences
néfastes qui en découlent sont de la destruction délibérée.
La raison pour laquelle un bon citoyen ne doit pas utiliser de telles
méthodes destructrices pour augmenter sa richesse personnelle
est que si tout le monde faisait de même, il y aurait un appauvrissement
général dû à la destruction mutuelle. C'est
ce que l'on appelle la morale kantienne, ou la Règle d'or. Puisque
je n'apprécie pas les conséquences qui adviennent si tout
le monde fait de la rétention d'informations, je ne dois pas
trouver acceptable qu'un individu le fasse. Plus précisément,
le désir d'être récompensé pour sa création
ne justifie pas que l'on prive le monde en général de
toute ou partie de cette créativité.
«Les programmeurs ne vont-ils pas mourir de faim? »
Je peux répondre que personne n'est forcé d'être
un programmeur. La plupart d'entre nous n'arriverait pas à se
faire payer pour faire des grimaces dans la rue. Mais nous ne sommes
pas pour autant condamnés à passer notre vie dans la rue
à faire des grimaces et à mourir de faim. On fait autre
chose. Mais c'est une mauvaise réponse, car elle accepte l'a
priori de la question: c'est-à-dire que sans possession du logiciel,
les programmeurs ne pourraient pas recevoir le moindre sou. C'est, soi-disant,
tout ou rien. La vraie raison pour laquelle les programmeurs ne vont
pas mourir de faim est qu'il sera quand même possible pour eux
d'être payés pour programmer ; seulement, peut-être
pas autant qu'actuellement. La restriction des copies n'est pas la seule
base des affaires du domaine des logiciels. C'est la base la plus commune,
car c'est la plus rentable. Si ces restrictions étaient interdites
ou rejetées par le client, les éditeurs passeraient à
d'autres formes d'organisation, qui sont actuellement moins utilisées.
Il y a de nombreuses façons d'organiser une entreprise. Il est
probable qu'avec ce nouveau système, la programmation serait
moins rentable qu'elle ne l'est actuellement. Mais ce n'est pas un argument
valable contre le changement. Il n'est pas considéré comme
injuste que les caissières gagnent ce qu'elles gagnent. Si les
programmeurs gagnaient la même chose, ce ne serait pas non plus
une injustice. (En pratique, ils gagneraient quand même beaucoup
plus.)
«Les gens n'ont-ils pas le droit de gérer l'utilisation
de leur créativité? »
«Contrôler l'utilisation que l'on fait de ses idées»
revient à contrôler la vie des autres ; et c'est souvent
utilisé pour leur rendre la vie plus difficile. Ceux qui ont
étudié le problème de la propriété
intellectuelle à fond (les avocats, les juristes, etc.) soutiennent
qu'il n'existe aucun droit intrinsèque à la propriété
intellectuelle. Les différents droits de soi-disant propriété
intellectuelle reconnus par le gouvernement ont été créés
par des législations précises dans des buts bien précis.
Par exemple, le système de brevets a été établi
pour encourager les inventeurs à divulguer les détails
de leurs inventions. Sa raison d'être était d'aider la
société plutôt que d'avantager les inventeurs. À
l'époque, la durée de vie de 17 ans pour un brevet était
court par rapport à la cadence des évolutions technologiques.
Puisque les brevets ne concernent que les fabricants, pour lesquels
le coût et l'effort d'établir une licence sont minimes
comparés à la mise en production, les brevets ne font
souvent pas trop de tort. Ils ne gênent pas la plupart des individus
qui utilisent des produits brevetés. Le concept de droit d'auteur
n'existait pas dans l'Antiquité, les auteurs copiaient souvent,
et beaucoup, l'oeuvre des autres. Cette pratique était utile,
et c'est de cette seule façon que les travaux de certains auteurs
ont survécus ne serait-ce qu'en partie. Le système du
droit d'auteur a été créé expressément
pour encourager les auteurs. Dans le domaine pour lequel ce système
a été inventé, les livres, qui pouvaient seulement
être copiés en imprimerie ne causait pas beaucoup de tort,
et ne gênait pas la plupart des personnes qui lisaient ces livres.
Tous les droits de propriété intellectuelles ne sont que
des licences accordées par la société parce que
nous pensions, à tort ou à raison, que la société
en général bénéficierait de ces accords.
Mais dans chaque situation précise, nous devons nous demander:
bénéficierons-nous vraiment d'accorder cette licence?
Quels actes autorisons-nous avec cette licence?
Le cas des logiciels aujourd'hui est très différent de
celui des livres il y a un siècle. Le fait que la manière
la plus répandue de copier un programme est entre voisins, le
fait qu'un programme contient à la fois du code source et du
code binaire (11) bien distinct,
et le fait qu'un programme est utilisé plutôt que lu comme
divertissement, se réunissent pour créer une situation
dans laquelle celui qui applique le droit d'auteur fait du tort à
la société, matériellement et spirituellement;
cette personne ne devrait pas appliquer le droit d'auteur, que la loi
l'y autorise ou non.
«La compétition permet de mieux faire les choses.»
Le paradigme de la compétition est une course: en récompensant
le vainqueur, nous encourageons tout le monde à courir plus vite.
Quand le capitalisme fonctionne réellement de cette façon,
tout marche bien; mais ses partisans ont tort s'ils pensent que cela
fonctionne toujours de cette façon. Si les coureurs oublient
le pourquoi de la récompense, et deviennent obsédés
par la victoire, quelles que soient les méthodes employées,
ils risquent de trouver d'autres stratégies telles qu'agresser
les autres concurrents. Si tous les coureurs s'engageaient dans un combat,
ils finiraient tous en retard. Les logiciels propriétaires et
secrets sont l'équivalent moral des coureurs qui se battent.
Malheureusement, le seul arbitre que l'on ait ne semble pas s'opposer
aux combats ; il se contente de les réguler («Pour dix
mètres parcourus, vous avez le droit de tirer un coup de feu»).
Il devrait en fait séparer les combattants, et punir les coureurs
qui tentent de se battre.
«Les gens s'arrêteront-ils de programmer sans l'appât
du gain?»
En fait, beaucoup de gens programmeront même sans aucun bénéfice
financier. La programmation exerce une fascination irrésistible
pour quelques-uns, généralement ceux qui programment le
mieux. Il n'y a aucune pénurie de musiciens professionnels qui
continuent à jouer, même sans l'espoir de pouvoir en faire
leur gagne-pain. Mais en fait cette question, bien qu'elle soit souvent
posée, ne convient pas à la situation. Les salaires des
programmeurs ne disparaîtront pas mais diminueront peut-être.
La question devient donc, trouvera-t-on des programmeurs qui travailleront
pour une moindre rémunération? D'après mon expérience,
la réponse est oui.
Pendant plus de dix ans, plusieurs des meilleurs programmeurs du monde
ont travaillé au laboratoire d'Intelligence Artificielle du MIT
pour un salaire bien moins important que ce qu'ils auraient touchés
ailleurs. Ils étaient récompensés de plusieurs
autres manières: la notoriété, le respect des autres,
par exemple. Et la créativité est une récompense
en soi. Et puis la plupart sont partis pour faire le même travail
pour beaucoup plus d'argent. Les faits démontrent que les gens
programmeront pour d'autres raisons que l'accumulation de richesses;
mais si on leur propose beaucoup plus d'argent, ils s'y attendront finalement
et l'exigeront. Les organismes qui payent moins bien ont du mal face
à ceux qui payent bien, mais ils devraient pouvoir s'en sortir
si les gros payeurs sont bannis.
«Nos besoins en programmeurs sont tellement importants que
s'ils interdisent le partage, nous ne pouvons que leur obéir.
»
La situation n'est jamais aussi désespérée
au point d'être amené à obéir à
une telle interdiction.
«Les programmeurs doivent bien gagner leur pain. »
À court terme, cela est vrai. Cependant, il y a de nombreuses
possibilités offertes à un programmeur pour vivre décemment
sans pour autant vendre le droit d'utiliser un programme. Cette façon
est la plus répandue actuellement, car c'est celle qui engendre
le plus de profit pour les programmeurs et les hommes d'affaires, et
non parce que c'est la seule manière de gagner son pain. Vous
pouvez facilement trouver d'autres manières si vous le voulez.
Voici quelques exemples. Un fabricant arrivant avec un nouvel ordinateur
payera pour le portage des systèmes d'exploitation sur le nouveau
matériel. L'offre de services d'enseignement, de conseil et de
maintenance peut permettre la création d'emplois. Les personnes
avec des idées nouvelles peuvent distribuer des logiciels librement,
en demandant des dons aux utilisateurs satisfaits ou en offrant un service
de conseil. J'ai déjà rencontré des personnes travaillant
ainsi. Les utilisateurs ayant des besoins en commun, peuvent créer
des groupes d'utilisateurs et payer des cotisations. Un tel groupe pourrait
faire appel à une société de développement
pour écrire les programmes spécifiques pour ses membres.
Toutes sortes de développement pourraient être financés
par une taxe sur les logiciels: supposons que chaque personne qui achète
un ordinateur doive payer x pour cent du prix en tant que taxe sur les
logiciels. Le gouvernement reverserait cette somme à un organisme
tel que la NSF (12)pour subvenir
au développement de logiciels. Mais si l'acheteur fait lui-même
un don au développement de logiciels, il pourra être crédité
pour cette taxe. Il pourrait donner au projet de son choix, car il espérera
profiter des résultats à l'achèvement du projet.
Il pourra donc être exempté de la taxe si le montant de
sa donation recouvre celle-ci. Le taux de la taxe pourrait être
déterminé par un vote de ceux qui la payent, pondéré
par le montant de l'imposition.
Les conséquences:
- La communauté des utilisateurs soutient le développement
des logiciels.
- Cette communauté décide du niveau du soutien nécessaire.
- Pour les utilisateurs qui se soucient de quels projets profitent
de leur participation, ils pourront les choisir eux-mêmes.
À terme, rendre les programmes libres est un pas vers le monde
d'après pénurie, quand personne ne devra travailler très
dur juste pour survivre. Les gens seront libres de se consacrer à
des activités ludiques telles que la programmation, après
avoir, bien entendu, passé les dix heures par semaine nécessaires
pour des oeuvres telles que la législation, la thérapie
de famille, la réparation de robots et l'exploration d'astéroïdes.
Il n'y aura donc plus besoin de gagner sa vie en programmant. Nous avons
déjà beaucoup réduit la quantité de travail
que la société entière doit fournir pour sa productivité,
mais seulement une petite part se traduit en temps de loisirs pour les
travailleurs, car beaucoup d'activités non productives sont nécessaires
pour accompagner l'activité productive. Les raisons principales
sont la bureaucratie et la lutte isométrique contre la concurrence.
Le logiciel libre va réduire grandement ces fuites du domaine
du développement logiciel. Nous devons faire cela, pour que les
gains de productivité se traduisent en moins d'heures de travail
pour nous.
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