TYCHO EST UN MONDE FUTURISTE.
Le monde du tout numérique, où l'ensemble de la connaissance
circule sur la planète sous forme de 0 et de 1, où les
individus sont reliés via les réseaux informatiques. C'est
un monde imaginé par Richard Stallman, dans «Le Droit de
Lire», premier texte de ce recueil.
Avant l'apparition de Tycho, les livres, les disques,
les films, s'incarnaient physiquement, sous forme de papier, de cassettes,
de disquettes, de disques laser.... Ils s'échangeaient, se prêtaient,
se partageaient. Mais se copiaient difficilement. Un livre passé
à la photocopieuse n'était plus qu'un ersatz douteux de
l'original. L'enregistrement sur cassette d'un CD rebutait le mélomane.
Les matons de la propriété intellectuelle n'avaient aucun
moyen de surveiller les individus et de brider leur désir de
partage. Mais ces derniers ne pouvaient que difficilement copier et
diffuser les oeuvres dont il disposait.
La grande bascule numérique a bouleversé
l'ancien monde et ses habitudes. La notion de copie, et ce qu'elle sous-entend
de dégradation de l'original, s'évanouit, car la combinaison
du numérique et des réseaux rend l'oeuvre clonable et
diffusable par tous. Mais en contrepartie, les réseaux informatiques
s'immiscent dans tous les foyers et dévorent l'intimité
de la pratique culturelle. En conséquence, Tycho devient le lieu
d'une bataille opposant les gardiens autoproclamés du savoir,
héritiers du passé, et les rêveurs d'une nouvelle
liberté de la connaissance et de la création.
Ainsi, si le savoir devient numérique, si chaque
oeuvre se trouve à l'extrémité d'un réseau
global et omniprésent, pourquoi ne pas contrôler chaque
lecture, chaque consultation, chaque regard? Pourquoi ne pas empêcher
les lecteurs et les mélomanes de se prêter les oeuvres,
acte gratuit, acte d'échange non marchand? Chaque morceau de
musique, chaque texte, chaque film, chaque logiciel, pourrait être
accompagné d'un mouchard, petit logiciel lié à
l'oeuvre et chargé de rendre compte de sa circulation, pour la
brider. Un rêve pour les représentants des auteurs, pour
les intermédiaires qui vivent des pourcentages prélevés
sur la diffusion. Un tel cauchemar technologique ne serait que le nouvel
avatar de Big Brother, oeil d'un État désormais aussi
attaché à la surveillance de l'expression des citoyens
qu'au gardiennage sourcilleux de la propriété intellectuelle.
De l'autre côté du spectre, certains se
plaisent à imaginer un nouvel espace d'échange et de circulation
d'une connaissance débarrassée des contraintes matérielles
et des supports physiques désormais inutiles. Les oeuvres ne
seraient plus soumises à une rareté physique artificielle,
mais disponibles à l'infini. Tycho serait un monde où
le savoir serait aussi libre que l'eau ou l'air, selon l'expression
de l'auteur de science-fiction Bruce Sterling. Un «cyberespace»
indépendant des lois du passé, selon le fantasme de John
Perry Barlow. Mais surtout, un univers où de nouvelles pratiques
de création, d'échanges, de partage demeurent à
inventer.
F. L.